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Clarisse Taulewali Da Silva, artiste autochtone de Guyane, diplômée du premier cycle des Beaux-Arts de Paris

On la connaît en tant que porte-parole de la Jeunesse Autochtone de Guyane, ou encore en tant que remplaçante du député de la deuxième circonscription Davy Rimane, mais c'est avant tout une jeune artiste qui vient de valider ses trois premières années d’études au sein de la célèbre école d'art.

  • Par: alicehartemann
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La première artiste autochtone Kali’na à intégrer les ateliers des Beaux-Arts

Si la jeune femme a pu se former aux différentes techniques artistiques dans cette école renommée, c'est parce qu'elle en a réussi le concours d'entrée en 2020, puis passé les différents entretiens qui lui ont permis d'intégrer l'atelier de grands noms de l'art contemporain comme Djamel Tatah. En effet, une fois le concours en poche, il s’agit de passer des entretiens et de « postuler » auprès des grands maîtres de l’art. « Ils voient s’il ont quelque chose à t’apporter et c’est eux qui décident si tu peux rejoindre l’atelier », explique Clarisse da Silva.

Auprès de Djamel Tatah et de Stéphane Calais, elle va alors peaufiner sa technique de peinture et explorer ses affinités: « je n’aime pas la peinture à l’huile », nous confie-t-elle.

Puis vient le diplôme, cet examen-exposition qui valide le premier cycle d’études aux Beaux-Arts, et pendant une demi-journée, l’élève vit un vrai accrochage et un vernissage de ses oeuvres.

"Amano Kulanol+ ta", c’est le nom de son diplôme. Sur ses toiles, certaines incrustées de perles de verres, ou tissées de Plexiglas à la manière de l’arouman, Clarisse da Silva a choisi d’embrasser son identité Kali’na jusque dans les matières et dans les techniques en évidence sur le mur :

« La pièce phare de ce diplôme, c'est une toile qui s'appelle Amano (lisez: Amanon), qui veut dire la vie (en Kali’na - ndlr). Et c'est une toile qui a la couleur rose, qui est la couleur du cachiri, la boisson traditionnelle, la couleur noire pour le genipa.

Toutes les couleurs du diplôme sont en fait liées aux couleurs qu 'on voit lors des cérémonies de deuil traditionnelles Kali’na, les Omakano et les Epekotono. Et sur cette toile-là, j'ai inclut directement des plumes de harpie, qu'on utilise aussi dans les cérémonies de deuil et qu'on place au sommet de la tête.

 

Amano, la vie (2024) Techniques mixtes, plumes de harpie ©️ Ugo Casubolo

C'est l'une des pièces-phares dans laquelle je suis le plus fière et qui est la plus... spirituelle et la plus émotionnelle aussi. C'était une toile sur le deuil, mais pas que sur le deuil, Amano, ça veut dire la vie.

Quand j'ai passé mon diplôme et que j'ai vu Amano là, et que j'ai vu quelques Kali’na qui sont venus, et de la famille, j’étais contente, et le fait de les voir comprendre direct, c’est ça qui fait du bien, c'est qu'ils comprennent les oeuvres, même si ça sort de l’ordinaire. Ils voient de la vannerie, ils comprennent, ils voient les couleurs, ils comprennent. Ils ont vu les plumes de harpie, ils ont compris, tout de suite. C'était un bonheur de ne pas devoir expliquer. »

©️ Ugo Casubolo

L’art occidental face à la vision autochtone de l'art

A travers le cheminement de Clarisse Taulewali da Silva aux Beaux-Arts de Paris, ce sont deux mondes qui se font face, jusque dans la compréhension-même de la finalité de l’art.

« Nous (le peuple Kali'na - ndlr) on fait des poteries, on fait des calebasses, on les grave, on dessine dessus, parce qu'on a besoin aussi de ça. Ce sont des choses qui sont utiles au quotidien et qu’on embellit aussi avec notre art traditionnel, mais à aucun moment il n’y de finalité économique derrière.

On n 'a pas besoin forcément de ça pour vivre, on vit et on fait juste ça parce qu'on en a envie et terminé. Si demain je n'ai pas mon diplôme des Beaux-Arts de Paris, je ne vais pas mourir. Je rentre chez moi, je vais continuer à faire ma peinture, je vais continuer à faire ça dans mon village, je vais continuer à pratiquer l'art traditionnel, à faire ma peinture, je ne vais pas me limiter à un succès ici.

Je n'ai pas besoin de ça, en fait. Mon âme d’artiste reste ici. Pendant un an, j 'ai réfléchi, je me suis dit effectivement qu'il y a une question qui se pose vraiment et qui devrait se poser, pas seulement aux artistes ultramarins qui partent du pays, mais à tout le monde: pourquoi est-ce que tu fais tout ça, au final? »

Alors l'art traditionnel kali’na, en lien direct avec les objets du quotidien, qui infuse la pratique contemporaine de la jeune artiste a-t-il sa place aux Beaux-Arts?

A la question "Quel artiste vous inspire ? ", elle répond spontanément "les artistes de mon peuple, les perlières et les potières", sans se douter que sa réponse va créer chez ses collègues artistes un questionnement plus profond.

En effet, l’histoire de l’art en France a longtemps opposé l’artiste à l’artisan, le titre d'artiste étant réservé à ceux qui créent sans but matériel, ni utilité physique. Mais avec le développement de l’industrialisation et du design, cette frontière se veut plus perméable. Pour autant, elle n’a jamais existé dans la vision Kali’na. Loin de toutes considérations anthropologiques, en amenant des techniques artistiques Kali'na dans son travail, l'artiste pose un positionnement identitaire face à cette question :

On m’a dit : « Ah, vous voulez les voir comme des artistes et pas des artisans ? » J'ai dit non, ça reste un art, en fait. Ça reste une pratique artistique, il y a des symboles qui sont créés, ce sont des dessins. Ce n'est pas parce que je les place sur une feuille et qu'on les encadre et que c’est une toile, que ça devienne un art. Il n'y a pas de limite pour moi, et je pense que c'est aussi le piège qu'on a de devoir mettre une étiquette sur chaque pratique.

Désolée, mais quand je vois la manière dont les perlières, elles font les colliers, je me dis que c'est un art à part entière, parce qu'on le fait en couture, on le fait dans énormément de choses ici dans le monde moderne occidental, et on voit ça comme une oeuvre d'art. Là, je parle des tenues hautes coutures, pour eux, c'est une oeuvre d 'art, cette robe, faite de perles, etc. En fait, c'est la même chose chez nous.

Palipe , la force (2023) Techniques mixtes ©️ Ugo Casubolo

Prochaine étape : explorer les arts traditionnels de Guyane

Clarisse Taulewali da Silva entend bien présenter ses oeuvres en Guyane :  « J’aimerais faire une restitution de mes réflexions en tant qu’artiste. On est en train de planter quelque chose pour les générations futures, ramener mes connaissances au pays et aussi prévenir les jeunes, en leur expliquant comment ça se passe là-bas. ». La jeune femme ne cache pas son ambition d’ouvrir un jour une école d’art en Guyane, capable d’apporter une formation solide aux jeunes Guyanais car, dit-elle, « s’il y en avait eu une ici, je ne serais pas partie. Le mal du pays est bien réel et mon pays me manque. », avoue-t-elle.

En attendant, Clarisse poursuit son parcours et entame en ce moment sa 4ème année. La jeune artiste rentrera bientôt puiser son inspiration dans les différentes formes d'art traditionnels de sa terre natale, et en élargissant son champ d’inspiration aux autres peuples traditionnels qui vivent en Guyane, notamment les techniques du bois propres aux nations Bushinengue. Clarisse Taulewali da Silva n'a pas fini de mettre en couleurs les différentes racines qui soutiennent son art.

Diplôme de Clarisse Taulewali da Silva ©️ Ugo Casubolo

Diplôme de Clarisse Taulewali da Silva ©️ Ugo Casubolo

Crédit photo de couverture : Jauris Bardoux @neufneuf_dreaded