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Droits de l’enfant en Guyane : l’UNICEF tire la sonnette d’alarme

6 enfants sur 10 en Guyane vivent dans la pauvreté. C’est l’un des signalements alarmants du rapport “Grandir en Outre mer: état des lieux des droits de l’enfant”, publié par l’UNICEF France en novembre 2023.

  • Par: adminradio
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Sortir de l’image de carte postale des Outre-mer, c’est l'objectif d’une étude menée par l’agence des Nations Unies responsable de la protection des droits des enfants. Dans un rapport présenté le 20 novembre 2023 à l’Assemblée Nationale pour la Journée internationale des Droits de l’Enfant, l’UNICEF s’est penché sur la situation des jeunes ultramarins et dresse un panorama, territoire par territoire, des réalités de l'Outre-mer.

La pauvreté des foyers, facteur fragilisant pour les enfants

De façon générale, l’UNICEF France déplore dans son rapport un manque de données émanant de l’Etat concernant les enfants en situation de pauvreté dans les territoires ultramarins, et en fait même une recommandation spécifique. L’organisation compile cependant les statistiques existantes, brossant un état des lieux des droits de l’enfant en outremer. 

Concernant la Guyane, l’étude a rappelé des chiffres de l’INSEE de 2017 selon lesquels 6 enfants sur 10 vivaient dans la pauvreté, qu’elle soit monétaire (le fameux “seuil de pauvreté”) ou de qualité de vie.  Ce chiffre qui concerne plus de la moitié des enfants de Guyane s'aligne avec les nombreuses difficultés structurelles que les foyers rencontrent : accès au logement, à une alimentation de qualité ou aux services de base (eau, électricité, transport, etc.)

Les enfants ne vivant pas la pauvreté comme les adultes, celle-ci a des répercussions dramatiques sur leur suivi en matière de santé et de scolarité mais aussi sur l’accès aux services de protection. 

Enfant au quartier informel de la Matine, à Cayenne (Crédit : J. Amiet)

Eau et santé, les défis structurels de la Guyane à l’échelle des plus petits

Parmi les points d’alerte du rapport, l’UNICEF France relève que le taux de mortalité infantile en Guyane est de 8,2%, contre 3,7% en Hexagone, une mortalité souvent causée par une eau de mauvaise qualité (comme c’est le cas dans les bidonvilles) mais aussi un suivi de grossesse irrégulier, avec seulement 65% des futures mamans suivies dès leur premier trimestre.

De façon assez large, l’Outre-mer connaît un taux important de non-recours aux soins. En cause : les difficultés d’accès aux structures sanitaires dans les Collectivités d’outremer y sont largement soulignées, en lien direct avec une répartition inégale des centres de soins par rapport à la géographie des territoires étudiés.

Au cœur des problématiques sanitaires se trouve la question de l’eau. Paradoxe pour un territoire situé en pleine Amazonie où l’eau est abondante, 15% de la population guyanaise n’a pas accès à l’eau potable, soit près de 30 000 personnes, résidant principalement dans les quartiers d’habitat spontané ou dans des communes reculées.

Le rapport rappelle que dans les foyers où il n’y a pas d’eau potable, la tâche d’aller en chercher revient souvent aux enfants (et aux filles en particulier), avec les conséquences que cela implique pour la vie des jeunes : insécurité, décrochage scolaire, pénibilité, etc. 

Education : entre discriminations et manque d’équipement, les multiples facettes de la déscolarisation.

La Guyane fait partie des territoires où un grand nombre d’enfants ne sont pas scolarisés, faute de place ou de transport, mais aussi du fait de freins administratifs, souvent discriminatoires. L’UNICEF France mentionne l’inégalité de traitement des inscriptions selon les communes mais aussi selon l’âge de l’enfant. 

Le rapport déplore que certains dispositifs prévus par la loi ne soient pas appliqués en Guyane, tels que le programme d’accompagnement vers l’école des enfants vivant dans des bidonvilles qui existe depuis 2018 au national.

Le manque d’infrastructures scolaires, particulièrement dans les communes éloignées du littoral, conduit à un éloignement forcé des enfants et de leurs parents vers des familles hébergeantes. Ce dispositif n’étant pas suffisamment contrôlé,  l'UNICEF attire la vigilance de l'Etat car il ajoute selon l'analyse "une pression supplémentaire sur la santé mentale des jeunes" et sur leurs droits : décrochage scolaire, malnutrition, insécurité, etc. 

“Des jeunes filles ont évoqué les problèmes de racisme, de discrimination dans leurs familles hébergeantes, l’une d’elle s’est même fait marcher dessus. Elles étaient quatre, une de Trois-Sauts et trois du Lawa, dans la même famille. Nous avons fait des des informations préoccupantes à la CTG, pour que ça change.”, explique Ichi Kouyouli, animatrice à l’Effet Morpho, une association sollicitée par l’UNICEF lors de l’enquête.

Autre point soulevé par le rapport, l’inégalité d’accès à la restauration scolaire selon les communes et le coût du transport. Tout autant de facteurs expliquant les chiffres du chômage et de l’inoccupation chez les 15-29 ans.

Sécurité et protection des mineurs : peu de données officielles.

Une autre conséquence indirecte de la pauvreté est l’insécurité des enfants. Encore une fois, l’UNICEF fait remonter le problème du peu de données par territoires sur ce sujet. 

En 2023, le rapport d’information de la Délégation aux droits des enfants de l’Assemblée nationale sur « la lutte contre les violences faites aux mineurs en Outre-mer » faisait le lien entre précarité économique, mal-logement et violences intrafamiliales, présentant des facteurs pouvant favoriser ces violences dans les Outre-mer.

Paradoxalement, peu d’informations préoccupantes (IP) sont recueillies dans les territoires concernés, posant la question de l’accès aux dispositifs de protection des mineurs en danger.  En 2022, le ministère de l’Intérieur notait un taux de 4 pour 1000 habitants dans les DROM contre 2,7 pour 1000 en Hexagone. Or pour l'UNICEF, "les IP sont un élément majeur de la détection des violences faites aux enfants",  dont le délai de traitement de ces signalements demeure long et rédhibitoire en outre-mer.

En Guyane, la précarité dans laquelle vivent de nombreuses familles serait à l'origine du peu de signalements, mais aussi l’éloignement des services de protection, la barrière de la langue ou les discriminations ethniques.

Des systèmes de protection de l’enfance “défaillants”, selon l’UNICEF, qui dénonce dans le même temps la politique migratoire de la France qui, malgré plusieurs condamnations par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) pour placement en rétention d’enfants en bas âge, continue d‘avoir recours à l’enfermement administratif des familles avec enfants ainsi que des mineurs isolés.

A ce sujet, l’organisation relève que le nombre de mineurs non accompagnés présents sur le territoire français demeure inconnu.

Des recommandations sans appel : faire des droits de l’enfant en outre-mer une priorité.

« Ces inégalités au sein du territoire français sont alarmantes. Les pouvoirs publics se doivent de garantir un accès aux droits de tous les enfants sur le territoire » a déclaré Adeline Hazan, présidente de l’UNICEF France.

L’ensemble des nombreuses recommandations de l’organisation sont sans appel : l'État doit se saisir de la question des droits de l'enfant en Outre-mer. Peu de données, des dispositifs non appliqués, un manque de moyens humains alloués à ces questions… 

“La France a signé et ratifié la Convention internationale des droits de l’enfant, et à ce titre elle a des obligations.”, rappelle Mathilde Detrez, chargée de plaidoyer programme outre‑mer à l’UNICEF France.

Si l’UNICEF France réclame que les politiques publiques aient à coeur l’intérêt de l’enfant et ses droits (réforme de l’EVASAN sur le principe de non-séparation de l’enfant et de ses parents, fin de l’enfermement administratif des enfants, respect de l’intégrité culturelle de l’enfant, etc.), la question reste entière quant aux moyens dont disposerait l’Etat pour y répondre.

Les députés d'outre-mer se sont saisis des conclusions du rapport mais l’actualité budgétaire ne rassure pas : un décret du 21 février 2024 ampute de 75 millions d’euros le programme 123 alloué aux conditions de vie en outre-mer (construction de logements sociaux, mobilité des personnes, développement d'infrastructures scolaires, etc.)

L’organisation a, quant à elle, annoncé que “la réalisation des droits de l’enfant dans les collectivités d’Outre-mer devient une priorité transversale pour la période 2022-2025.”