Criminalité : les juridictions des Antilles-Guyane renforcent leur coordination

Ils étaient tous là : procureurs généraux, procureurs de la République, juges d’instruction, forces de sécurité intérieure, représentants des douanes et des forces armées aux Antilles. Ce jeudi 26 juin, Fort-de-France a accueilli une réunion exceptionnelle du comité de pilotage de la JIRS, la seule juridiction interrégionale spécialisée d’Outre-mer.
L’objectif : faire le point sur l’explosion des violences liées au narcotrafic, au trafic d’armes, à l’immigration illégale et réorganiser une réponse judiciaire commune et plus offensive. Laurent Sabatier, premier président de la cour d’appel de Fort-de-France :
« La coordination n'est pas nouvelle, mais l'état d'esprit l'est. Pour la première fois, tous les partenaires étaient réunis. Cette JIRS, la plus étendue de France, est notre rempart contre les attaques des narco-trafiquants. »
Avec 87 dossiers en cours d’instruction liés à la criminalité organisée, la JIRS monte en puissance, appuyée par trois magistrats instructeurs spécialisés et des moyens renforcés, dont la création récente de nouveaux postes de juge d'instruction et de greffier.
Une coordination judiciaire étendue sur toute la zone
Au-delà de l’état des lieux, cette réunion a permis la signature d’un protocole de répartition des dossiers entre la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane. Un outil essentiel pour soulager les juridictions locales et rationaliser le traitement des affaires. « Habituellement, ces réunions rassemblaient seulement les procureurs. Là, les juges du siège étaient aussi présents. C’est une forme nouvelle, plus complète. Car seuls, nous n’y arriverons pas. », explique Patrice Cambérou, procureur général de la cour d’appel de Fort-de-France explique l’intérêt de rassembler l’ensemble des juridictions :
« La Martinique, en tant que tête de pont de cette juridiction interrégionale, jouera un rôle de "tour de contrôle", coordonnant l’action judiciaire sur l’ensemble de l’arc Antilles-Guyane ».
Vers une stratégie judiciaire plus offensive
Ce comité marque un changement de posture assumé : la lutte contre la criminalité organisée est désormais considérée comme un véritable combat, à mener de manière soudée, planifiée et offensive, explique Patrice Cambérou :
« J’ai parlé de guerre, et ce n’est pas un mot faible. Notre première arme, c’est d’être unis. Et aujourd’hui, nous avons commencé à réunir les conditions d’une stratégie de combat. »
Une stratégie reposant aussi sur une meilleure circulation du renseignement judiciaire, comme l’a rappelé le procureur général de Basse-Terre, Éric Morel, qui mise sur une exploitation renforcée des informations issues des instructions judiciaires et une coopération accrue entre les territoires :
« L'idée, c’est de construire une tour de contrôle à Fort-de-France, alimentée par les renseignements venant de Guadeloupe, et qui nous renverra les informations utiles. C’est un tournant. »
Des outils technologiques viendront aussi soutenir ce dispositif, avec l’arrivée prochaine de radars sur le canal des Saintes, de drones maritimes sur les côtes guadeloupéennes, et d’opérations conjointes entre forces de sécurité et magistrats.
Cibler l’ensemble des flux criminels
En Guyane, où le flux des "mules" a été largement tari grâce à un travail ciblé sur l’aéroport Cayenne-Félix Eboué, le combat se poursuit contre d'autres vecteurs de la criminalité organisée en collaboration avec les services judiciaires de l’Amapa au Brésil et du Suriname : trafics de stupéfiants, d’armes, d’êtres humains, conclut Joël Solier, procureur général de la cour d’appel de Cayenne :
« Il faut diminuer tous les flux, pas seulement celui de la drogue. Armes, immigration illégale, factions criminelles… La criminalité est transversale, et seule une réponse concertée peut être efficace. »
Cette réunion historique acte un changement d’échelle et d’intensité dans la lutte contre la criminalité organisée aux Antilles-Guyane. Elle inscrit la JIRS de Fort-de-France comme pivot stratégique d’une justice ultramarine, modernisée, renforcée, et tournée vers la coopération interterritoriale reste à savoir si les juridictions seront soutenues pour davantage de moyens humains et matériels.
Extrait de la conférence de presse - RCI Martinque :