L'ex numero 3 de l'Office des "stups", poursuivi pour complicité de trafic, sera fixé en décembre
Entre flou et zones d'ombre, l'issue de ce procès demeure très incertaine à l'issue de cette semaine passée devant la 10e chambre de correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris. Après 10 ans de procédure, il est difficile d'établir avec précision les responsabilités de chacun dans ce dossier complexe de trafic de stupéfiant entre la Guyane et l'Hexagone, d'autant que les différents avocats ont pris soin de rejeter la responsabilité sur les autres prévenus lors des plaidoiries de ce mardi.
En préambule, c'est le procureur de la République qui a livré ses réquisitions, en reconnaissant une responsabilité des deux haut-gradés, à qui l'on reproche d'avoir favorisé ce réseau en 2013 afin de gonfler les chiffres de saisies réalisées par l'OCRTIS, nom de l'entité devenue OFAST en 2019.
Restitution de saisies
Évoquant un "rôle important et anormal", le représentant du parquet a déploré que les deux policiers aient laissé "acheter des produits stupéfiants pour la revente sur le territoire national, quand on sait les dégâts qu'ils causent". En l'espèce, ce dernier a clairement établi que Stéphane Lapeyre et Jocelyn Berret, son adjoint, étaient intervenus pour restituer une somme de 80.000 euros à leur intermédiaire, dont le complice avait été intercepté par les douanes lors de la première tentative de transfert des fonds vers la Guyane, pour l'achat de la marchandise au Suriname. Cet intermédiaire, surnommé "Marc", mais dont le vrai nom est Lionel K., avait par ailleurs récupéré l'argent en utilisant une fausse pièce d'identité, dont la provenance semble douteuse, et aurait peut-être été fournie par les agents.
À la lumière de cette interprétation, le procureur a requis deux ans de prison avec sursis contre les deux policiers, ainsi qu'une amende douanière solidaire pour tous les prévenus de l'ordre de 745 000 euros. Toutefois, la plupart des autres mis en cause pourraient écoper de peines plus lourdes, si le représentant du Parquet est suivi par la Cour. En effet, l'intermédiaire Lionel K. qui était en liaison directe avec le commissaire Lapeyre et son adjoint, est menacé de trois ans avec sursis, ainsi que 30.000 euros d'amende. Des opérateurs du réseau, dont certains Guyanais, qui n'étaient pas au courant de l'implication policière, sont sous le coup de condamnations plus importantes comme trois ans, dont deux avec sursis, pour Jean-Michel L., ancien détenu recruté par "Marc", ou Lionel K., qui a déjà passé 22 mois en détention provisoire, ou trois ans fermes avec un mandat d'arrêt contre son complice qui avait participé à la mise en place logistique dans le département amazonien et qui ne s'est pas présenté au procès.
Plaidoiries contradictoires
Ces réquisitions différenciées ont donné lieu à des plaidoiries très animées des avocats. Ainsi, les conseils des opérateurs du réseau ont déploré cette position, dans un trafic qui a été “mis en place par les policiers”, selon le représentant de Jean-Michel L., persuadé que les policiers et leurs informateurs, intermédiaires dans ce dossier, ont été "chercher des pauvres gens pour faire du chiffre". "Tout est vicié, ils ont créé ce dossier car ils n'avaient rien à se mettre sous la dent", a poursuivi sa consœur qui défendait le complice, parlant de policiers "ripoux" qui ont bénéficié du soutien de nombreux agents dans la salle d'audience durant tout le procès.
Par ailleurs, les 80.000 euros, dont l'origine n'a pas été clairement identifiée, restitués par l'intervention des deux policiers auprès du Parquet de Créteil et par l'utilisation d'une fausse pièce d'identité, ont aussi été au cœur des débats, notamment sur la notion d'usage de faux. Les deux intermédiaires, dont un qui a déjà été condamné dans le passé pour une affaire de stupéfiants, assurent n'avoir œuvré qu'en tant que relais d'une opération policière.
"Erreurs d'appréciation"
Du côté de Stéphane Lapeyre et Jocelyn Berret, ce dossier a été décrit comme "aberrant" et cette procédure qualifiée de "malaise" par leurs avocats. "Il y a eu des erreurs d'appréciation, mais pas d'infraction pénale pour alimenter un trafic, ça ne cadre avec rien. Il ne faut pas faire payer des dysfonctionnements qui le dépassent", a notamment lancé Maître Thibault de Montbrial, célèbre pénaliste qui défend Stéphane Lapeyre, qui a insisté sur une "préexistence du trafic", selon son interprétation. Sur la restitution des 80.000 euros, ce dernier a mis en avant une volonté de ne pas réduire tous les "efforts à néant" dans une opération qui paraissait prometteuse. "Tout n'était pas parfait, mais il n'y avait pas d'incitation", a-t-il poursuivi.
La 10e chambre correctionnelle a mis sa décision en délibéré, elle sera rendue le 20 décembre prochain.
Nicolas Ledain - RCI