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Un poilu Guyanais survivant de la Première Guerre Mondiale

  • Par: abehary
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A l’occasion du centenaire de l’armistice de la Première Guerre Mondiale (1914-1918), hommage à Gustave Létard né le 30 avril 1892 à Sinnamary. Mobilisé en 1915, à l’âge de 23 ans, il débarque en métropole, à Saint Nazaire. Il a fait parti des 1 800 soldats Guyanais qui fut appelés.

Recruté dans le 4ème régiment des Zouaves, il est choisi comme aide de camp, intendant de guerre, par un jeune lieutenant de 26 ans. C'est alors une chance de se retrouver à l'arrière et pas en première ligne de front. L’hiver 1916, les choses se gâtent pour lui. Un après-midi d’hiver, à la nuit tombée, le lieutenant a été appelé pour une mission. Gustave Létard s’apprêtait à le suivre comme d’habitude. Au moment de partir, il lui dit : « Létard, je n’en ai pas pour longtemps, vous pouvez rester au camp ». Il répondit : « Oui, mon lieutenant ». C’est la dernière fois qu’ils se sont vus et parlés. Une heure à peine, après son départ, il a été fauché par une rafale de mitrailleuse ennemie, avec tous ceux qui l’accompagnaient. La chance a voulu qu’il n’en fasse pas partie.

Gustave Létard se retrouva ensuite dans les tranchées de la Somme. Il résista un mois ou plus, pieds dans la boue glacée, le haut du corps mouillé ou humide en permanence, toux persistante, aucune possibilité de se nettoyer ou de se changer de vêtements.

Les poux de tranchée, qui faisaient de véritables crevasses sur leur torse, leur dos, se nourrissant de leur sang, à l’abri du gilet de laine épaisse, posé directement sur leur peau. Ce gilet faisait partie de leur habillement pour protéger leur buste des rigueurs du froid. La température extérieure, disait-il, leur enlevait l’envie de se déshabiller, ne serait-ce que quelques minutes, pour se débarrasser des poux. Il racontait que les démangeaisons permanentes causées par ces insectes, « c’était l’enfer », aussi terrible que le froid de l’hiver. Il garda incrustées ces traces de crevasses indélébiles, sur son corps, jusqu’à sa mort, le 5 janvier 1963, à 70 ans, des suites de sa pneumonie qui n’avait jamais été soignée correctement.

A la différence des soldats de métropole, les soldats ultramarins ne pouvaient quasiment pas revenir chez eux lors des permissions. Il se retrouvaient dans des centres d’accueil créés par un sénateur Guadeloupéen. Le temps de trajet pour revenir en Guyane était beaucoup trop long.

C’est en 1916, à la suite de cette affectation dans les tranchées, Gustave Létard fit une pneumonie aiguë qui nécessita son évacuation urgente vers l’arrière. Il avait perdu connaissance. Quand il retrouva ses esprits, il a appris son rapatriement puis son départ sanitaire vers la Guyane.

La bague offerte à Gustave Létard par sa marraine de guerre. Seul objet qu'il a ramené de la guerre. Aujourd'hui, c'est un de ses fils qui la porte.

En partant allongé sur une civière, le médecin militaire pronostiqua à haute voix : « celui là n’a plus pour longtemps ». Il tint bon et fut embarqué sur un bateau en partance pour les Antilles-Guyane, fin hiver 1916. Son bateau arriva à Cayenne après un bon mois de traversée. Il a été soigné à l’hôpital militaire et remis sur pied. La guerre devrait se terminer là pour lui, fin 1916.

Mais les dirigeants militaires de Guyane le jugeant aptes, le rembarqua pour le front, début 1917, en plein hiver. Les coloniaux, comme ils étaient appelés, furent envoyés vers le nouveau front oriental sud, Grèce, Turquie (les Dardanelles). « C’est un homme qui a fait la guerre deux fois, théoriquement il ne devait pas repartir », précise son fils Raphael Létard.

Il se retrouva, à partir de mars 1917, canonnier au sein du 78eme régiment d’artillerie lourde, dont la mission consistait à servir d’imposants canons qu’ils tractaient sur voie ferrée. C’est à Dardanelles qu’il vit sauter 10 hommes et leur canon en éclat, victimes d’un obus ennemi. C’est là qu’il dénombra le plus de cadavres autour de lui.

Il était sur le front oriental quand l’Armistice fut signé le 11 novembre 1918 à Fréjus. Heureusement, dans une guerre, il y a aussi des souvenirs agréables. Il eut le temps de se refaire une santé, morale et physique, dans le sud de la France. Son convoi de « contingent créole » ne fit route vers la Guyane qu’au printemps 1919, pour arriver à Cayenne le 29 mai 1919.

Il s’installe comme agriculteur à Brigandin, sur la commune de Sinnamary. Il se maria à Aglaé Thoulmey, de Kourou. Ils eurent neuf enfants. « Il parlait très peu de la guerre. Il était très dégouté de la France et de cette guerre. D’ailleurs, il n’a jamais voulu repartir en métropole », témoigne son fils Raphael Létard.

Dès 1924, il s’intéressa à la politique de sa commune, à Sinnamary, où il fut maire à plusieurs reprises, et conseiller général jusqu’à sa mort, à 70 ans, le 5 janvier 1963.