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Cabassou, 25 ans après : un drame gravé dans la mémoire des Guyanais

Le 19 avril 2000, une journée de cauchemar. C'était un mercredi pluvieux, comme il en existe en cette période de l’année en Guyane. Mais à 13h45, tout a basculé. 25 ans après, plusieurs commémorations sont prévues pour ce triste anniversaire.

  • Par: adminradio
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19 avril 2000, 13h45, un glissement de terrain dévastateur se produit sur les hauteurs du Mont Cabassou, à Rémire-Montjoly. Une coulée de boue de huit mètres de haut, fonçant à 40 km/h, a transporté 300 000 mètres cubes de terre et de débris, balayant tout sur son passage, notamment l’usine de produits laitiers Cilama, des habitations et des automobilistes sur la route de Dégrad des Cannes (RN3).

© Archives - Ville de Rémire-Montjoly 

Les images apocalyptiques diffusées en direct sur les écrans de télévision sont restées gravées dans les esprits. Ce drame a coûté la vie à dix personnes, bouleversant à jamais des familles et la Guyane tout entière.

 « Je les ai croisés en voiture le matin… c'était en fait un au revoir à jamais »

Parmi les victimes : le père et la sœur de Thierry Dorlipo. Deux piliers de la famille Dorlipo arrachés brutalement à la vie, deux absences qui résonnent encore 25 ans plus tard.  Ce jour-là, Thierry ignorait tout du drame qui venait de se produire. Ce n’est qu’en fin de journée que l’inquiétude grandit, lorsqu’aucun signe de vie ne venait de son père ni de sa sœur. Puis, l’impensable fut confirmé :

« J’ai vécu 25 ans sans mon père… c’était le pilier de la famille. On lui demandait conseil pour tout, même pour voter. Quant à ma sœur, on était très liés. Elle était la petite dernière. »

Chaque 19 avril est une déchirure renouvelée pour la famille Dorlipo. Un poids que l’on porte en silence la plupart du temps, mais qui resurgit avec force lors des commémorations.

« On n’en parle pas trop en famille, mais lors des cérémonies, les souvenirs reviennent toujours quelques jours avant, pendant et après les commémorations »

Pour toute une génération, Cabassou est devenu un mot lourd de sens. Un lieu symbole de tragédie. Les générations, les plus anciennes, associent systématiquement la catastrophe de Cabassou a certain nom de famille dont les Dorlipo, indique Thierry :

« Dès qu’on entend le nom Dorlipo, les gens nous rappellent ce jour-là. Les anciens me disent : "j’étais là", "j’ai connu ta sœur", "j’ai vu la coulée". Ça revient sans cesse. »

Si la mémoire est vive chez les plus âgés, chez les plus jeunes la catastrophe est de moins en moins connue, reconnait Thierry Dorlipo :

« Mes enfants ne connaissent pas leur tante disparue. Ils découvrent l’histoire à travers des photos. La stèle commémorative passe souvent inaperçue… mais pour nous, elle reste essentielle. »

Un hommage fort 25 ans après

Ce samedi 19 avril, à 9h, une cérémonie du souvenir se tiendra devant la stèle érigée à proximité du lieu du drame. Familles, élus et citoyens sont invités à y déposer des fleurs, des témoignages recueillis par la CTG y seront diffusés dont l’objectif est de faire revivre la mémoire collective, indique la collectivité.

En amont, ce jeudi 17 avril, une première initiative forte a marqué le début des commémorations : le giratoire jouxtant le site a été officiellement renommé "Rond-point du 19 avril 2000".

« C’est l’une des plus graves catastrophes de Guyane, il ne faut pas oublier », a souligné Claude Plénet, maire de Rémire-Montjoly. « La mémoire, c’est ce qui permet de transmettre l’histoire. Les témoins ne seront pas toujours là. Les historiens doivent se saisir de ce travail mémoriel et l’inscrire dans des ouvrages. Notre collectivité municipale avec la CTG pourrait accompagner ce genre de projet »

© Pédro Polanco - Radio Péyi 

Dans la foulée, une retraite aux flambeaux a relié le nouveau rond-point à la stèle commémorative, dans une atmosphère à la fois recueillie et solennelle.

Transmettre aux nouvelles générations

Le matin même, une action pédagogique s’est tenue auprès des élèves de CE2, CM1 et CM2 de l’école Jules Minidoque. Une manière de faire vivre l’histoire auprès de ceux qui n’étaient pas encore nés. Maurice Pindard, membre du MDES, a rappelé les faits, suivi d’une minute de silence, puis d’un lâcher de ballons par les élèves en hommage aux dix victimes.

© CTG 

« Ce sont ces enfants qui auront la responsabilité demain de se souvenir et de transmettre à leur tour. », rappelle Bernadette Duclona-Constant, vice-présidente déléguée à la citoyenneté et au vivre-ensemble de la CTG.

S’en est suivi un long combat judiciaire

Dans les jours qui ont suivi la tragédie, une information judiciaire est ouverte par le parquet de Cayenne. Les premières investigations pointent une responsabilité de l’État, avec la mention de glissements de terrain antérieurs en 1983 et 1990. Mais le 21 mai 2002, un non-lieu est prononcé, faute de « faute caractérisée ». Le dossier connaît ensuite un parcours judiciaire complexe, long et douloureux pour les familles. Ce n’est qu’en 2010 que la Cour administrative de Bordeaux reconnaît enfin la responsabilité de l’État à hauteur des deux tiers.

Entre temps se posait la question du déblaiement d'une partie de la RN3 ensevelie ou de créer une nouvelle route. C'est finalement la deuxième option qui est choisie. Entre temps, pour relier Cayenne à Rémire sur cette axe, les automobilistes ont du emprunter, durant plusieurs années, une déviation par la route d'Atilla-Cabassou. 

Récemment, le BRGM a développé une nouvelle méthode pour cartographier les glissements de terrain en Guyane. Grâce à l’analyse de données géophysiques, une trentaine de sites ont été étudiés pour mieux prévenir les risques et améliorer les plans de prévention. 

La catastrophe de Cabassou fait désormais partie de l’histoire guyanaise. Pour Thierry Dorlipo, la douleur est toujours là, mais il sait aussi que l'essentiel est que l’on n’oublie jamais :

« On ne peut pas changer le passé, mais on peut faire en sorte que personne n’oublie ce qui s’est passé à Cabassou. Pour que ça ne se reproduise jamais. »