Le Sénat publie son rapport sur les Forces armées en Guyane
La Commission des affaires étrangères du Sénat prend soin de rappeler que la Guyane est le plus grand département français avec ses 82 000 km2, et que sa particularité est sa porosité avec les autres pays faisant partie de ce que l’on dénomme le Plateau des Guyanes (Brésil, Guyana et Suriname). De fait, « les frontières de la Guyane n’en sont pas vraiment », constate le rapport, prenant comme exemple les fleuves Maroni et Oyapock, où les populations vivent indifféremment sur les deux rives et leurs îlets. Ce qui implique un engagement significatif : « Un total de 2 300 militaires et 600 gendarmes y sont en fonction pour une population de 300 000 habitants, soit un ratio six fois supérieur à celui de la métropole », précise la Commission.
En première ligne, l’opération Harpie contre l’orpaillage illégal. La surface aurifère de la Guyane est grande comme la Suisse et attire évidemment beaucoup de convoitise. « On estime à 120 tonnes le stock d’or primaire à exploiter en Guyane, sans compter l’or secondaire contenu dans les alluvions ou les dépôts fluviaux. La quantité totale d’or présente sur terre est de 250 000 tonnes, dont 160 000 ont déjà été extraites », écrivent les parlementaires. Chaque année, une dizaine de tonnes d’or serait produite clandestinement en Guyane, contre seulement deux tonnes légales. Environ 10 000 travailleurs clandestins, pour l’essentiel Brésiliens et Surinamais, opèrent dans la forêt Guyanaise, sur près de 400 sites. Ces trafics entraînent évidemment une augmentation de la criminalité et de la délinquance (drogue, prostitution, détention d’armes, vols de moteurs de bateaux, assassinats) autour des comptoirs logistiques mis en place par la filière minière clandestine sur la rive brésilienne de l’Oyapock ou sur la rive Surinamienne du Maroni.
Orpaillage clandestin et Centre spatial
« Les communautés amérindiennes de Guyane sont très majoritairement opposées à ces activités illégales qui occupent des terres, dégradent le milieu naturel et exercent des pressions sur les ressources de pêche et de chasse dont ils tirent leur subsistance », souligne le rapport. Dans le cadre de l’opération Harpie, les Forces armées en Guyane (FAG) ont un effectif d’environ 400 militaires chargé de contrôler en permanence l’orpaillage clandestin, à pied, en pirogue ou en hélicoptère. Le matériel des orpailleurs, les Garimpeiros, est en général détruit sur place, car il est trop couteux de le sortir de la forêt. On le sait moins, mais depuis le début de l’opération Harpie lancée en février 2008, sept militaires ont perdu la vie, morts dans des fouilles ou tués par des orpailleurs. Le coût annuel d’Harpie est de 55 millions d’euros. Il permet de « maintenir l’orpaillage à bas niveau, mais pas de l’éradiquer. Il s’agit toutefois d’un résultat déjà important : sans Harpie, la forêt amazonienne guyanaise serait littéralement détruite », disent les parlementaires.
Autre mission des FAG, protéger le Centre spatial de Kourou, qui s’étend sur 700 km2, soit 1% de la superficie de la Guyane et 40 km de bande côtière. C’est l’opération Titan, chargée de protéger ce site stratégique et ses infrastructures (logements, réseaux, installations portuaires et hôpital). Son coût annuel est de 37 millions d’euros. « En 2019, les FAG ont engagé en permanence 25 hommes/jour dans les trois milieux terrestre, aérien et maritime. Selon le calendrier des transferts et des lancements de fusée, les forces armées déploient en supplément environ 250 hommes pendant en moyenne 32 jours par an », note le rapport du Sénat. Compte tenu des enjeux scientifiques, les déploiements de Titans sont des impératifs prioritaires. « La marine intervient à chaque lancement dans le cadre d’une zone maritime d’exclusion, surveillée à la fois par une vedette côtière de surveillance maritime et un patrouilleur léger guyanais. Pour le volet aérien, les deux radars du centre de contrôle militaire assurent en permanence la surveillance du ciel, de manière à garantir la sécurité aérienne du centre spatial ». Au cas où, la bulle de protection aérienne doit permettre de faire face à tous types de menaces en interceptant, déroutant, voire en neutralisant un appareil intrus.
L'intelligence artificielle au secours des militaires
Enfin, l’opération Polpeche, menée par les forces armées, essentiellement la Marine, en collaboration avec les affaires maritimes, les douanes et la gendarmerie, est destinée à lutter contre le pillage des ressources halieutiques en Guyane. Cette menace vient principalement des pêcheurs brésiliens et surinamiens. « Au Brésil il y a en effet 30 pêcheurs par kilomètre de côte, au Suriname, 60 et en Guyane, un seul ! », détaille le texte. A cela il faut ajouter les intrusions des Vénézuéliens et la présence de pêcheurs chinois dans la zone, notamment au Suriname. « Protéger les ressources françaises constitue un enjeu économique mais aussi de souveraineté », relèvent les rapporteurs. « La Marine défend donc un pré carré qui est sous exploité par ses propres nationaux, et sur exploité par ses voisins. Selon le préfet du Morbihan, ancien préfet de Guyane, des filières pêches pourraient être structurées, à condition qu’il y ait une réelle volonté des responsables guyanais. »
En conclusion du rapport, la Commission fait plusieurs propositions. « Les forces armées devraient mieux communiquer sur leur action pour préserver la biodiversité dans la forêt amazonienne », dit-elle en premier lieu. Ensuite, il serait nécessaire d’adapter le droit aux spécificités guyanaises, en créant notamment un délit minier aggravé pour les espaces naturels protégés, ce qui permettrait de punir plus sévèrement les orpailleurs. Il faudrait également évaluer périodiquement le niveau de la menace pesant sur le Centre spatial guyanais. « Une intrusion ou un survol représente un risque ‘réputationnel’ dans un contexte de concurrence exacerbée des lanceurs spatiaux », souligne le texte. Il insiste aussi sur la nécessité d’accomplir un effort ponctuel de coopération vis-à-vis du Suriname, en matière de lutte contre les trafics et de préservation de l’environnement. Pour finir, il évoque l’impératif « d’effectuer une montée en gamme technologique pour faire la différence par ‘l’intelligence’. Liaisons satellitaires, intelligence artificielle pour la reconnaissance des pirogues, moyens de renseignement pour la connaissance des flux logistiques pour mieux lutter contre les trafiquants, moyens de détection des passeurs ».