Flambée de la violence en Kanaky-Nouvelle Calédonie sur fond d’émancipation
"Nous sommes en état de guerre civile,” peut-on lire sur les réseaux sociaux. Depuis dimanche, la Kanaky Nouvelle Calédonie vit une escalade de la violence. En cause : un projet de réforme de la constitution portant sur le dégel du corps électoral calédonien. Ce texte permettra aux hexagonaux récemment installés sur l’île de participer aux élections provinciales, déterminant la distribution des sièges au sein du Congrès calédonien. Si les loyalistes, attachés à la présence française sur l’île, réclament les mêmes droits qu’ailleurs en France, les Kanak craignent une nouvelle minorisation de leur représentation autochtone.
Retour sur les accords de Nouméa
Signés en 1998 entre l’Etat, les mouvements indépendantistes et les partis loyalistes, ces accords, outre la reconnaissance des identités autochtones Kanak et des “nouvelles populations”, prévoient la refondation d'un « lien social durable entre les communautés » par la décolonisation. Le texte détaille également le transfert de certaines compétences à la Nouvelle-Calédonie, la France gardant le pouvoir régalien, lequel ne serait transféré qu’en cas d’accès à la souveraineté, celle-ci devant être soumise par voie de référendum à la population.
Dans l’optique de cette consultation populaire, les accords de Nouméa fixent également le gel du corps électoral, réservant la participation aux élections provinciales aux citoyens calédoniens. En 1999, le Conseil constitutionnel va annuler ce gel, le limitant à une présence de 10 ans sur le territoire calédonien, c'est le principe de corps glissant. Trois référendums seront donc organisés en 2018 (non à 56,7%), en 2020 (non à 53,3%) et en 2021.
Lors de ce dernier référendum, les indépendantistes boycottent le scrutin, organisé malgré la notification d’une période de deuil pour le peuple Kanak suite à la pandémie de COVID 19. Le vote se fera et le non l’emportera à 96,5%.
Estimant que les Accords de Nouméa étaient arrivés à leur terme avec la victoire du “non”, le gouvernement français a amorcé une procédure de révision de la Constitution en janvier 2024, provoquant une vive protestation du côté des partis indépendantistes calédoniens.
“Le problème c’est le CCAT”, selon le ministère de l'Intérieur.
Gérald Darmanin l’a évoqué lors des questions au gouvernement du Sénat mercredi, pour lui, la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) serait responsable de ce déferlement de violence. Le ministre de l’Intérieur décrit “un groupe mafieux, qui veut manifestement instaurer la violence”. "L'état d'urgence nous a permis d'assigner à résidence 10 leaders mafieux de ce groupuscule qui commet meurtre et pillages", a-t-il ajouté sur France 2, tout en regrettant "qu'une partie des leaders indépendantistes aient fait un deal avec l'Azerbaïdjan", accusant ainsi ce pays proche de la Russie d'ingérence.
???????? "Je regrette qu'une partie des leaders indépendantistes aient fait un deal avec l'Azerbaïdjan"
— Telematin (@telematin) May 16, 2024
Ingérence étrangère en Nouvelle-Calédonie : Gérald Darmanin assure que la France est "souveraine chez elle". #Les4V @GDarmanin pic.twitter.com/UAAIlclHtZ
Ce groupe, composé de militants et syndicalistes indépendantistes, a reçu le soutien du Conseil des Chefs de Kanaky dans un communiqué paru ce matin : “La CCAT [...] n’est pas un “groupe mafieux” ou un “groupe terroriste”, comme certains responsables politiques voudraient nous le faire croire.” Les Chefs “pointent du doigt les principaux responsables de cette situation, qui sont ceux qui renient la légitimité du peuple autochtone kanak dans son propre pays.”
Le responsable de la CCAT, Christian Tein, a lancé un appel au calme sur une radio locale: « J’en appelle à l’ensemble de nos jeunes, de lever le pied », a-t-il dit, rappelant que « la CCAT n’a jamais appelé à piller les magasins ».
Pour certains politiques français, la responsabilité se situe plus loin
Plus exactement à 16 000 km de Nouméa. Mardi, la gauche française avait appelé le gouvernement à retirer le projet de loi controversé, identifié comme la cause “d’une spirale de la violence irréversible”, selon Mathilde Panot, présidente du groupe NUPES :
“Personne ne veut de mort en Calédonie. Avec ce projet de loi, l'esprit des accords de Nouméa est piétiné. Quelle qu'en soit la forme, la voie de l'émancipation de la Nouvelle-Calédonie est irréversible. Monsieur le Premier ministre, préservez la paix civile. Retirez ce projet de loi constitutionnel.”
???????? Monsieur le Premier ministre, préservez la paix civile !
— Mathilde Panot (@MathildePanot) May 14, 2024
Avec ce projet de loi, l’esprit des accords de Nouméa est piétiné.
Quelle qu’en soit la forme, la voie de l’émancipation de la Nouvelle-Calédonie est irréversible.
Retirez ce projet de loi constitutionnelle. pic.twitter.com/yq4XpE8saw
Pour Sophia Chirikou, c’est l’attitude même du gouvernement qui est directement responsable de la situation chaotique sur le Caillou : "S'il y a des responsables de la violence à aller chercher, ce ne sont pas les indépendantistes, c'est ici à Paris, à l'Élysée et au gouvernement".
Le gouvernement ne bougera pas et la centaine d’amendements proposés sera rejetée. Le texte sera adopté dans la nuit de mardi à mercredi 351 voix "pour" et 153 voix "contre". Parmi les parlementaires ayant voté contre ce dégel, Jean-Victor Castor, député de la première circonscription de Guyane s’est positionné avec son groupe GDR face à l’Etat, en soutien au combat kanak pour la souveraineté:
Nous ne sommes pas ici dans le cas d'une réforme telle que la réforme de la retraite. Ce n'est pas un mouvement social qu'on va tenter de mater. Il s'agit de peuple qui revendique sa pleine souveraineté et qui a fait le choix d'avoir un destin commun avec tout le monde. Respectez cela!
Nouvelle-Calédonie : "Vous aurez toujours des Kanaks, face à vous, qui vont se battre pour leurs aspirations profondes", affirme @JVCastorGuyane (GDR).
— LCP (@LCP) May 14, 2024
Le groupe GDR votera contre le projet de loi.#DirectAN pic.twitter.com/wEOejuhNWD
La réponse de l’Etat : ordre et fermeté.
Face à la montée de la violence, Gabriel Attal a répondu mercredi que la priorité est “de retrouver l’ordre, le calme et la sérénité”. Parmi ses annonces, le déploiement de l’armée pour sécuriser les ports et l’aéroport. Ce matin, Matignon a annoncé qu’un millier de militaires supplémentaires seraient déployés, en renfort des 1700 personnels déjà présents sur place.
TikTok, le réseau social, a été interdit à travers l’archipel depuis hier, dans une tentative d’empêcher la circulation d’appels à la haine, précise le premier Ministre. Le président Emmanuel Macron, quant à lui, a invité l’ensemble des acteurs calédoniens à Paris pour une rencontre qui devrait se tenir avant que le Congrès ne soit réuni pour valider la réforme.
Loyalistes comme indépendantistes ont appelé à un retour au calme. Les autorités autochtones réunis au sein du Conseil National des Chefs de Kanaky se sont exprimé, se disant “indignés de la dégradation de la situation dans le pays, due au vote de l’Assemblée Nationale du projet de loi constitutionnelle autorisant le dégel du corps électoral des élections provinciales.”
Pour l’instant, aucune réunion virtuelle, n’a eu lieu entre les élus calédoniens et l’Etat, les "différents acteurs ne souhaitant pas dialoguer les uns avec les autres pour le moment", a annoncé hier l'Elysée.
Crédit photo couverture : Les nouvelles calédoniennes